Un portrait par Sarah-Christine Bourihane
Paix, calme, lenteur, joie et profondeur : l'Eucharistie célébrée par Guildo respire ces mots. Guildo n’est certainement pas pressé de célébrer la messe. Pourquoi l’être si on est en présence du Bien-Aimé? Guildo l’a compris, et veut le vivre, à chaque messe.
Si ce prêtre de Jésus, que vous avez peut-être aperçu au monastère, boite d’une jambe, rien ne l’empêche d’aller droit vers le Seigneur. Guildo n’est peut-être pas un petit frère, mais il semble pourtant un des leurs. Comme un poisson dans l’eau au monastère, il paraît incarner à merveille leur spiritualité et parfois même, prendre des traits de leur ami et modèle, Charles de Foucauld. Mais au fait, qui est Guildo au juste?
En apprenant à connaître son histoire et son itinéraire spirituel, c’est tout un pan de l’histoire du monastère qui se découvre par le fait même. Véritable porteur de tradition, Guildo nous raconte, toujours avec cette paix exemplaire, ces premières années où la communauté des Petits frères de la Croix était encore un projet fou, dans la tête et le cœur de Michel Verret, le fondateur.
D’où tient-il ce récit? C’est que lui-même en a fait partie. Il fut de ceux qui osèrent la grande aventure de la vie monastique, dans une communauté nouvelle. Mais avant d’en arriver là, suivons-le sur son parcours pour y découvrir par la même occasion un témoin de l’action de Dieu.
Chassez l’appel et il reviendra au galop
Dès l’âge de cinq ans, Guildo sent l’appel à devenir prêtre. Pour Dieu, il ne semble jamais trop tôt pour appeler! Enfant de cœur dans sa paroisse, éduqué par des religieuses dans son village natal, Guildo chemine dans la foi jusqu’à l’âge de 15 ans. Mais peu à peu, sa foi s’effrite : « Entre 15 et 20 ans, je ne cheminais pas trop avec le Seigneur et n’allais pas à la messe tous les dimanches. C’était la crise d’adolescence. J’ai voyagé sur le pouce, j’ai fait le tour du Québec », raconte Guildo.
Puis un événement tragique le ramène au bercail familial. Son frère de 20 ans, de trois ans son ainé, prend mal un tournant sur une route glacée, à Baie-Comeau. Il fonce dans un camion d’Hydro-Québec et le rétroviseur de sa voiture lui heurte la tempe. Conséquence : décès immédiat, le premier de toute la famille. Son grand-père meurt deux mois plus tard. Ce temps d’épreuve est pour lui une occasion de réflexion. Il est alors sur le chômage.
« Mon ami Paul et moi faisions de la raquette ensemble. On était tous les deux en réflexion et lui cheminait dans le Renouveau charismatique, un nouveau mouvement incluant beaucoup de jeunes et d’adultes. Paul m’invitait à des soirées de prière, mais moi je n’avais pas envie de venir, car de l’Église, j’en étais loin. Je ne pratiquais plus. Ce n’était pas pour moi. J’étais aussi devenu plus reclus et solitaire. »
Puis un soir, Paul lui apprend qu’un de ses amis sera présent à la soirée de prière. Il accepte. Il arrive sur place et trouve 60 jeunes massés dans une petite salle dans le haut de la cathédrale de Hauterive. En un mot, Guildo est touché.
« Ça a commencé par un temps d’accueil, de prières, de lecture de la Parole de Dieu, puis j’ai été saisi par l’Esprit saint. Surtout durant la messe où on était tous réunis autour de l’autel.
«J’ai été saisi par la présence de Jésus vraiment présent. À la communion, on ne s’en rend pas nécessairement compte, mais on dit : "Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri". Bien, je l’ai entendu cette parole-là.
Je l’ai entendu dans mon cœur. Cette parole-là, c’était comme celle de l’enfant prodigue : "Mon enfant, je t’aime." Puis là mon appel à devenir prêtre est revenu.»
L’aventure commence
L’Esprit saint presse Guildo. Lors de la soirée, il demande à rencontrer le prêtre. Il n’a rien à perdre après tout, il dispose de tout son temps. Dès la semaine suivante, il se confie à lui: «La messe, c’est beau. Mais ça prend quelqu’un pour la dire. Alors, je lui ai dit que je voulais devenir prêtre depuis longtemps. Il me répond qu'il me faut étudier longuement.»
Guildo avait arrêté l’école en dixième année (secondaire 3) pour apprendre un métier manuel. Comme le dit l’adage, quand on veut, on peut. Pour devenir prêtre, Guildo refait son secondaire en 7 mois au lieu de deux ans. La directrice de l’école n’avait jamais vu quelque chose de semblable aux cours du soir aux adultes.
Il entre alors au séminaire pour poursuivre des études universitaires. Puis durant cette année, il entend parler, grâce au prêtre Denis Veilleux, d’un ermite appelé Michel Verret.
Pilier d’une œuvre
Sans tarder, Guildo a soif d’en connaître davantage sur la vie monastique et la vie d’ermite. Le mot se passe au séminaire : Michel Verret veut fonder une communauté de moines adorateurs du Saint Sacrement. Il se rend alors à Saint-Étienne-de-Lauzon pour s’entretenir avec Michel Verret, à son ermitage. On est en février 1980. L'ermite venait de recevoir le “oui” de l’évêque, en décembre de cette même année.
«En rencontrant le père Michel, je lui dis que je trouve merveilleuse l’œuvre qu’il s’apprête à fonder, la fondation des Petits frères de la Croix, suivant l'inspiration de Charles de Foucauld. Et je lui dis que je souhaite entrer dans la communauté et lui demande si c’est possible. Il m’a accepté tout de suite.»
La communauté naît le 8 juin 1980, en la fête du Saint-Sacrement. Le 14 septembre, en la fête patronale de la communauté, celle de la Croix glorieuse, Guildo y entre. Un mois et demi plus tard, il passe au noviciat, prend l’habit et change de nom.
«Désormais, Guildo Couillard, tu t’appelleras Jean-Guildo du Sacré-Cœur. Tu reçois ce nom nouveau, porte-le maintenant» lui dit le Père Verret en lui remettant une médaille du Sacré-Cœur de Charles de Foucauld que Guildo lui-même avait taillé dans du bois.
Pourquoi ce nom, lui ai-je demandé?
«J’ai toujours eu une grande dévotion au Sacré-Cœur depuis que je suis petit. Ma grand-mère m’avait donné une médaille du Sacré-Cœur et je l’ai toujours gardé. C’est ce qui m’avait frappé de Charles de Foucauld: le Sacré-Cœur sur l’habit. Ce n’est pas son cœur qui est là, mais c’est le Cœur de Jésus.»
Puis pourquoi Jean?
«Jean, c’est l’apôtre du Sacré-Cœur. Il est le seul à avoir parlé du cœur transpercé de Jésus. Il est le seul à s’être penché sur le cœur de Jésus à la cène. ‘'Mon enfant, je t’aime’' : lui aussi, il l’a entendu dans le cœur de Jésus, à la croix.»
“Célébrer la messe, c’est le cœur de la vie du prêtre.”
Pour bien comprendre pourquoi Guildo sait nous faire entrer à plein dans le mystère de chaque eucharistie, il faut remonter aux sources de sa première messe.«La première messe que j’ai célébrée était le lendemain de mon ordination le 14 mai 1989 à la Basilique de Québec. J’ai célébré la messe, mais c’est Père Michel qui a prêché. Il a dit dans son homélie une parole qu’il m'a répétée après et qui va toujours me rester : ‘'Guildo, célèbre toujours l’eucharistie comme si c’était la première et la dernière messe de ta vie.’' »
Il a bien insisté pour dire que la messe ne devait pas être bâclée, mais célébrée; ce qu’il retrouve ici, au monastère des Petits frères de la Croix. Une messe très priante, toute englobée dans le silence. Le silence, répète-t-il par trois fois, d'un lieu saint, loin des bruits du monde, nous permettant ainsi de savourer la communion.
Éprouvé au feu de l’amour
Construire une communauté nouvelle implique d’avancer à tâtons, de débroussailler le terrain. Sitôt arrivés, sitôt partis : tel fut le sort des premiers frères au fondement de la communauté. Environ un an après la fondation, ils n’étaient que quatre, le fondateur inclus.
Michel Verret donnait régulièrement des enseignements sur la vie religieuse. Un matin, il dit aux petits frères : «''Il n’y aura pas d’enseignement. Là il faut faire un choix ce matin et je vous pose la question : est-ce qu’on continue ou on arrête?'' Je ne le savais pas, mais les deux autres parlaient de partir aussi. Mais moi je réponds : ''Je suis venu pour rester et je ne partirai pas comme ça. Je veux continuer, j’aime l’œuvre et elle est importante dans l’Église.''» En entrevue, je l’ai remercié d’avoir dit oui, car son oui en a permis beaucoup d’autres!
Vous vous doutez bien de la suite de l’histoire : d’autres sont arrivés. Ils ont pu ainsi passer de Valcartier, à Saint-Augustin, puis réaliser le rêve du fondateur, c’est-à-dire fonder un monastère dans Charlevoix.
Comme le vigneron émonde les sarments de la vigne pour lui faire porter du fruit, ainsi Dieu l’a fait avec les petits frères. En 1993, Michel Verret est atteint d’un accident vasculaire cérébral. Il vit encore quatre ans, et meurt dans la paix, prêt à partir. C’est Guildo qui prend le relais comme prieur, la santé de Michel Verret étant trop fragile pour continuer. Guildo sera ainsi prieur durant 6 ans, pour finir par prendre une année sabbatique afin de se reposer et de discerner son appel.
Un tournant
Il devient finalement prêtre de paroisse dans sa région natale et quitte le monastère. Guildo évangélise maintenant des paroissiens mais aussi des motards et des pompiers, car il en est l’aumônier!
«J’étais plus libre, plus épanoui et plus heureux en paroisse. Mon orientation était changée. Mais en 2002, j’ai eu un accident de moto.
«Je me dirigeais en direction de Sept-Îles pour aller célébrer une messe. Je suis arrivé dans un tournant et une auto est passée très vite. Les policiers ont fait demi-tour pour la rattraper, mais comme j’arrivais dans leur angle mort, ils ne m’ont pas vu. Ils m’ont coupé le chemin. J’ai essayé de les éviter, je les ai accrochés et j’ai été projeté. Mon cœur a arrêté. Ce qui m’a sauvé est qu’un médecin se trouvait dans la voiture qui me suivait. Sans cela, je serais décédé sur place.»
Guildo s'est rétablit peu à peu. Il s'est remis de son traumatisme crânien et sa mémoire est revenue tranquillement. Il a réappris à être autonome. Même si l’accident a laissé des séquelles telles qu’une jambe moins fonctionnelle, il peut toujours continuer à faire ce qu’il aime le plus : célébrer la messe et être charitable.
Des frères m’ont raconté qu’un jour où on venait le voir à l’hôpital, il ne se trouvait pas à sa chambre. Il était au chevet des plus malades que lui pour porter leurs souffrances dans la prière. «Après l’accident, j’avais du mal à parler. J’ai dû me réadapter. Je priais beaucoup. J’étais en mauvais état, mais il y en avait des plus endommagés que moi. Surtout un jeune dans la vingtaine du nom de Stéphane. J’allais prier souvent sur lui, avec lui, avec ses parents qui étaient découragés. Ils le pensaient mieux mort. Je leur disais que sa mission sur terre n’était pas finie.»
Aujourd’hui
Son lien avec les Petits frères de la Croix est toujours demeuré très fort. Après son accident, il continuait à travailler comme prêtre à temps partiel dans sa paroisse, mais depuis deux ans, en 2012, il a eu le désir de se rapprocher des petits frères.
Le petit frère Gilles l’a aidé à trouver un appartement à Baie-Saint-Paul et c’est pourquoi on peut le voir trois fois par semaine célébrer la messe au monastère. Par ailleurs, il se consacre à la reliure, une passion. Il continue ainsi à mener une vie cachée, toujours en présence de son Bien-Aimé.
J’ai demandé à Guildo ce qu’il aime tant du monastère.
«L’adoration de l’eucharistie. L’eucharistie, c’est le cœur de ma vie. Ici, l’adoration est continuelle. L’eucharistie célébrée et adorée, ça ne fait qu’un. C’est la raison pour laquelle le Père Michel a fondé les Petits frères de la Croix.»
Je lui ai aussi demandé ce que les petits frères peuvent apporter à notre monde, même s’ils vivent cachés.
«La paix. Il y a un silence de paix qui règne ici. Notre monde en a tant besoin car il y a tant d'agitations.
«Et le temps. Tu es ici pour Dieu, pour le rencontrer dans la prière, les offices. Le Père Michel appelait ce lieu la sainte montagne. Dieu est sur la montagne. Il est dans la plaine aussi, mais les grands événements de la vie de Dieu dans l’Ancien Testament se déroulaient sur la montagne et ceux de la vie de Jésus aussi. La transfiguration, c’était sur la montagne, les béatitudes, l’appel des premiers disciples, puis la croix. Ce n’est pas pour être dans les hauteurs, c’est pour être proche de Dieu.»
Au fond, toute la vie de Guildo, est une offrande humble et patiente pour que Celui qui a murmuré à son cœur Mon enfant, je t’aime, soit célébré et adoré. Et ce fils spirituel des Petits frères de la Croix continue à le faire, ici, au monastère.
par Sarah-Christine Bourihane (sarah_christineb@hotmail.com)